Vincent Dutreuil : “L’art, c’est une manière de transcender la réalité”
Vincent Dutreuil est un dessinateur de bande dessinée. Auteur de plus d’une douzaine de BD, il se démarque par ses styles graphiques éclectiques. Rencontre avec cet artiste, à travers la présentation de son travail et son point de vue sur l’art.
Comment est née votre passion pour la BD ?
Ma passion de la bande dessinée vient de l’enfance. J’étais un enfant assez solitaire, je lisais énormément et surtout de la bande dessinée. J’ai commencé avec le Journal de Mickey et les Picsou Magazine. J’ai ensuite collectionné les Johan et Pirlouit de Peyo, les Boule et Bill, les Lucky Luke etc. Puis petit à petit, j’ai eu des lectures plus adultes avec Mœbius par exemple, et ça ne m’a jamais quitté.
Présentez-nous votre parcours.
J’ai une formation en dessin qui a débuté avec des amis de mes parents qui étaient peintres et lithographes, et qui m’avaient initié. J’ai également fait la rencontre de Philippe Caza quand j’avais 15 ans. Il m’a appris énormément de choses et m’a fait travailler pour le plaisir de me former. J’ai ensuite fait un bac arts appliqués, puis suis allé à l’école Saint-Luc à Bruxelles, une école de BD que beaucoup d’auteurs ont faite. Puis j’ai fait quelques années aux Beaux-Arts à Saint-Étienne. Cependant, j’ai mis pas mal de temps à publier professionnellement mon premier album. C’était avec François Maingoval (scénariste de bande dessinée) aux Éditions Glénat. Nous étions tous les deux de jeunes auteurs, nous avions envoyé notre dossier à toutes les maisons d’éditions et cela a fini par aboutir, mais c’était loin d’être notre première tentative. Dans les années 2000, nous avons donc publié trois albums. J’ai par la suite poursuivi aux Éditions Glénat avec deux autres albums qui n’ont pas rencontré un très grand succès. J’ai donc bifurqué sur d’autres activités afin de pouvoir gagner ma vie, avant de revenir à la bande dessinée plus sérieusement récemment. J’ai fait un détour par des petits éditeurs, des maisons d’éditions indépendantes comme La Boîte à Bulles, j’ai fait des petits contrats pour les Éditions Petit à Petit. Et puis, presque 20 ans après notre première rencontre, François Maingoval m’a recontacté pour un projet de BD autour de l’OL aux Éditions Dupuis. C’est à ce moment-là que j’ai fait la connaissance de Denis Lapière (scénariste) avec qui je travaille actuellement sur Michel Vaillant.
Sur quel(s) projet(s) travaillez-vous actuellement ?
J’ai été co-dessinateur sur la saison 2 de Michel Vaillant. Je travaillais avec Benjamin Benéteau (auteur de bande dessinée) qui dessinait les voitures et les personnages, tandis que je m’occupais des story-boards et des décors. Après trois albums, Denis Lapière m’a proposé de réaliser des essais pour une série dérivée qui s’intitulera Michel Vaillant Légende, une reprise à l’identique des mises en scène de Jean Graton (créateur de Michel Vaillant) à la fin des années 60, soit l’âge d’or de Michel Vaillant. Cette série parallèle va resituer les aventures du pilote durant ces années-là, dans un style graphique le plus proche possible de celui de Jean Graton. Chaque album aura pour cadre une course de légende dans une édition qui a marqué les esprits. Tout le travail de Denis Lapière réside donc dans l’insertion les personnages de fiction dans ces événements historiques, ainsi que de créer une trame, une intrigue avec des enjeux dramatiques, un suspense au milieu de ces évènements dont on connait la teneur ou pas, puisque le livre s’adressera aux connaisseurs comme aux néophytes.
Comment parvenez-vous à faire transparaître votre style personnel lorsque vous dessinez pour des commandes ?
Je ne crois pas faire transparaître mon style personnel lorsque je fais des travaux de commande. Ce n’est d’ailleurs pas le but. L’objectif est de répondre le mieux possible à ce qui m’est demandé. Mais quelle que soit l’histoire que je raconte, ce qui me porte et m’intéresse, c’est de trouver la meilleure adéquation possible entre un style graphique et le récit que j’ai à raconter. La question du style personnel est donc évacuée. Cependant, on peut chercher à inhiber sa personnalité, elle ressurgit toujours : “Chassez le naturel, il revient au galop”. Donc s’il y a quelque chose de personnel qui reste malgré tout dans mon travail, je dirais que ce n’est pas tant dans mon dessin, mais dans mon découpage : la manière de cadrer et de mettre en page –même si par exemple sur le projet actuel, on s’impose des contraintes, une sorte de charte graphique qui correspond à ce que pratiquait Jean Graton dans les années 60. Malgré tout, je pense que c’est dans la manière d’enchainer le cadrage et les plans que réside l’aspect le plus personnel de mon travail.
Présentez-nous le projet dont vous êtes le plus fier.
C’est vraiment difficile de répondre à cette question car je suis fier de la plupart de mes projets, à chaque fois pour des raisons différentes. Je suis très fier de ma première série avec François Maingoval car c’est peut-être là où j’avais le souci graphique qui tendait le plus vers l’illustration. C’est également sur ces BD où j’ai passé le plus de temps sur chaque page. Malgré tout, il y a plein de défauts mais je garde une certaine fierté pour cela. Je suis également très fier de travailler sur Michel Vaillant car c’est un monument du patrimoine de la BD franco-belge. La bande dessinée étant ma passion, le fait de pouvoir participer à perpétuer ce personnage, de lui faire vivre de nouvelles aventures, de savoir que cela apporte de la joie à de nombreux lecteurs (j’ai des retours qui me font extrêmement plaisir), cela représente une grande fierté.
Sur un plan plus personnel, un des projets dont je suis à la fois le plus fier et paradoxalement le moins fier également, c’est une adaptation d’un roman policier paru chez 10/18, écrit par Dale Furutani et intitulé La promesse du samouraï. Ma BD elle, se nomme Cadavre à la croisée des chemins, ce qui est plus proche du titre original américain. J’en suis très fier car ce fut une rencontre avec une culture. Le Japon est un pays fascinant et j’étais très heureux de pouvoir montrer sa culture, la découvrir à travers ce travail. Ce fut également une rencontre humaine car depuis, Dale Furutani est devenu un ami. C’est un très grand romancier absolument sous-estimé qui a une approche à la fois humaine, culturelle et narrative que je partage totalement. Sur un plan graphique, je dirais que c’est le projet le plus ambitieux car c’est celui qui s’écarte le plus des sentiers battus et où, avec le recul, j’ai l’impression d’avoir raté le plus de choses. J’ai essayé des choses et tout n’ai pas réussi. Clairement si je pouvais le refaire, je le referais.
Comment expliquez-vous la diversité de vos styles de dessin dans vos travaux ?
La diversité de mes styles de dessin provient du fait que j’essaye toujours d’adapter le style graphique au récit, mais également car je n’ai pas envie de m’ennuyer ou de tomber dans de la répétition et la redite. C’est donc à chaque fois l’occasion de découvrir et d’essayer des techniques, des approches graphiques différentes, et c’est passionnant. Cependant, cela rend mon travail beaucoup moins identifiable et identifié aux yeux d’un public, ce qui est plutôt un handicap pour construire une carrière. L’autre contrepartie, c’est que l’on progresse moins vite puisque l’on approfondi moins les choses en se diversifiant beaucoup, on a une approche peut-être superficielle de certains styles de dessin.
Glénat, Dupuis, petite maison d’édition, autoédition… vos BD sont parues à de nombreuses éditions différentes. Est-ce un choix ? Quelles sont vos préférences ?
J’ai effectivement fait beaucoup de maisons d’édition depuis que j’ai commencé. J’ai également fait de l’autoédition, déjà dans mes débuts en faisant du fanzina, et puis plus récemment grâce à un crowdfunding pour ma BD Animal Wars. Toutes ces expériences sont intéressantes et enrichissantes, mais pour être honnête, la plupart du temps un auteur va vers un éditeur qui veut bien de lui. C’est rare qu’il ait beaucoup de choix. Donc pour l’instant, les choses se sont faites comme ça, ce n’est pas du tout réfléchi. Aujourd’hui, je travaille avec les Éditions Dupuis, ça se passe vraiment très bien, j’ai de super interlocuteurs. Mais tout ça n’est pas le fruit d’un calcul, c’est dû aux hasards de la vie et des rencontres.
Quels sont les avantages et les inconvénients du métier de dessinateur ?
En ce qui me concerne, le premier avantage est le fait de pouvoir exercer ma passion. C’est une nécessité pour moi, je ne peux pas m’en passer, donc si cela devient également mon métier c’est idéal. Les autres avantages sont le fait de pouvoir travailler d’où l’on veut, de pouvoir raconter ce dont on a envie avec peu de moyens, contrairement à un cinéaste par exemple. Les inconvénients sont la solitude. Elle peut être pesante comme apaisante, mais le dessinateur reste tout de même assez seul face à son travail. Le dessin demandant énormément de temps, passer un grand nombre d’heures seul peut parfois nous couper du monde voir de la réalité. C’est d’ailleurs pour ça que j’aime bien faire des collaborations. Mais l’inconvénient majeur, c’est que pour 99,9% des dessinateurs, la bande dessinée ne suffit pas pour vivre. C’est donc un métier très incertain.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Mon principal projet est de continuer cette série Michel Vaillant Légende, de réaliser si possible de nombreux et beaux albums. Avec Denis Lapière, nous avons d’ambitieux projets pour la suite. Sinon, comme beaucoup de personnes travaillant dans des métiers créatifs comme le mien, j’ai évidemment des projets plein les tiroirs que je n’ai pas pu aboutir, et qui ne demandent qu’à être ressortis si une opportunité se présente ou un peu de temps libre se libère entre deux albums. Je suis donc incapable actuellement de dire lequel ressortirait en premier lieu. Pour l’instant, je suis à 100% sur Michel Vaillant.
En quoi l’art et la culture ont un rôle primordial à jouer dans notre société selon vous ?
Si j’essaye de résumer ce que l’art et la culture apportent aux gens dans notre société, c’est que je pense que sans art on devient fou, tout simplement. Comme le rêve et le sommeil, c’est une manière de transcender la réalité, nos pulsions, nos fantasmes, nos projections sur l’avenir, nos angoisses, nos espoirs… et de leurs donner une forme partageable et qui fasse sens. Ça embellit la vie. Je pense que, qui que l’on soit, on a besoin de l’art pour vivre, pas forcément de le pratiquer mais de le voir autour de nous, car cela nous transforme en profondeur, change notre façon d’être et de voir les choses, crée du lien entre les gens. Je pense qu’il y aurait énormément de violence sans l’art et sans la culture, encore plus que maintenant.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes souhaitant faire de l’art leur métier ?
C’est la question la plus difficile car ce sont des carrières très incertaines. Mon premier conseil serait de s’y lancer que si l’on a cette passion chevillée au corps. Mon second conseil serait de toujours avoir un plan B au cas où ça ne marche pas comme espérer. Mon dernier conseil serait d’être patient, de ne jamais lâcher, ne jamais désespérer. Les choses peuvent parfois mettre des années à arriver, mais en général quand on est tenace, cela finit toujours par venir. Ce sont des conseils très banals mais généralement, l’expérience des uns ne profitent que rarement aux autres. C’est à chacun de tracer sa voie.
Retrouvez actuellement Michel Vaillant Pikes Peak en librairie, et toutes les autres BD de Vincent Dutreuil ici.
Propos recueillis par Marjolaine Dutreuil
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